Himmelskibet

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1918 Film de Holger Madsen (Dk) – contrairement à ce qu’on peut lire souvent le film n’est pas adapté de Himmelskibet de Michaëlis, mais le livre est une novelisation du film, datant de 1921, le romancier devant être à la base l’auteur du scénario

Histoire : Avanti Planetaros (carrément !) est un homme d’action en mal de nouveaux défis. Son père, le Professeur – astronome – Planetaros, va lui en fournir un de taille : la conquête spatiale !! Ni une, ni deux, Avanti débauche son beau-frère, scientifique de son état, pour construire un navire spatial.  On recrute un petit équipage de volontaires – et un peu risque-tout quand même – et on part pour Mars, laissant père, soeur, compagne et le Professeur Dubius, ignoble scientifique, ami du père (qui se moque de la tentative d’Avanti – cela ira jusqu’à la haine). Six mois de trajet, éprouvant d’angoisse et c’est la mutinerie à bord. Mais, heureusement, on arrivera enfin sur Mars. Mars où vit une société idyllique que nos héros vont cependant traumatiser. Ils seront vite repentis et conquis par l’utopie Martienne.
Sur Terre, cependant, la soeur d’Avanti et son père, se morfondent. Il semblerait bien que les prédictions pessimistes du méchant Dubius se soient réalisées et qu’Avanti et son équipage soient perdus corps et âmes.  Pire que tout, Dubius vient régulièrement visiter le Professeur pour le démoraliser – au point où ce dernier veut se suicider.
Sur Mars, notre équipage pense enfin rentrer. Avanti sera accompagné par sa nouvelle compagne Martienne qui veut répandre la doctrine pacifiste sur la planète bleue. Ils arrivent à temps pour éviter le suicide du Professeur Planetaros et, comme disait le Capitaine Haddock : « Tout est bien qui finit bien »…

Trailer (2012)

Commentaires : Himmelskibet est la première et dernière super-production du cinéma Danois. Réalisé et distribué pendant la Grande Guerre, il veut faire passer un message pacifiste dans un monde en plein cataclysme. Le film est également cité comme le sans doute premier Space Opera, idée avec laquelle j’ai quelques difficultés, notamment car je n’ai pas (ahem !) de définition stricte du genre. Il n’empêche que Himmelskibet nous offre un récit à dimension interplanétaire jamais vu jusqu’ici sur les écrans qu’on pourra aborder de divers points de vue, par exemple :

Himmelskibet et les science(-fiction)s

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Départ de la Terre : une vision de l’espace remarquable

Préparatifs

On nous dit que la construction du vaisseau spatial – on voit le chantier, comme dans Le Voyage dans la Lune – est à la fois affaire de scientifique avancé (le beau-frère d’Avanti) et de temps : 2 ans de construction sont nécessaires et l’on n’y inclut pas les essais d’altitude d’Avanti fait avant le projet lui-même.
Le départ est fixé en fonction du minima de distance Terre-Mars. Voilà qui fait plaisir. Des « diapositives » expliquent à l’assistance d’une conférence – et au spectateur – cette question elliptique. Pendant cette conférence, on fait également découvrir l’intérieur de l’Excelsior grâce à un film didactique (c’est furtif) projeté dans la salle. Une idée heureuse qui sent quand même la SF en ce que l’utilisation du cinéma paraît ici très banale.
On nous dit que le vaisseau va à une vitesse de 12.000 km/h. Le voyage durera 6 mois, soit 51 millions de kilomètres. Le nombre de kilomètres minimum étant de 55 millions, on peut dire que l’aspect spatio-temporel du voyage a bien été pris en compte.

Le Vaisseau Spatial

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L’Excelsior, le vaisseau spatial : un avion amélioré.

Le vaisseau spatial sera l’Excelsior (du latin « plus haut, plus élevé »). Et, oui, il ressemble à un avion et c’est sans doute ainsi qu’il faut le voir. Avanti, d’ailleurs, avant d’y monter, s’entraîne à battre tous les records d’altitude en avion. Il apparaît que, dans le film, la conquête de l’espace n’est qu’une suite logique, une amélioration de l’aviation. Il s’agit en quelque sorte – et oui – de continuer à s’élever aéronautiquement jusqu’à l’espace et poursuivre sa route. Pas de question d’arrachage à l’attraction terrestre ni de micro-pesanteur une fois éloigné de la Terre (bien sûr, nous sommes en 1918). Pas de moyen de communication avec la Terre non plus. L’Excelsior reste un simple avion, mais hermétique – doit-on penser – et avec quelques hublots… Hermétique et étroit, ce qui provoque l’effet d’enfermement qui va avoir une telle importance dans le récit.

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« Bon les gars, on.. on va essayer de s’asseoir !! »… on remarque les pans des deux côtés qui, inclus dans le plan, font comme un effet d’écrasement de l’image, renforçant l’effet d’étroitesse.

La Matière Noire et le Mal de l’Espace mode 1918

Se pose la question de la justesse des intertitres. S’ils sont d’origines, alors l’espace semble être entendu comme une matière noire (pas dans l’acception contemporaine ^^) dans laquelle se déplace notre sous-marin spatial. Je serais assez pour imaginer que les intertitres du DVD sont justes rafraîchis, car si, en passant la tête devant le hublot, les hommes voyaient des étoiles, je pense qu’un plan aurait permis de voir le spectacle. Mais non : pas d’émerveillement devant le soleil ou les étoiles, juste du noir à longueur de temps, comme dans un océan d’encre, et le Mal de l’Espace ici est une claustrophobie déprimante. Même si c’est simplement du vide qui.. effraie notre équipage, c’est toujours un effort fait pour imaginer les conséquences d’un voyage de 6 mois sur les hommes.
Rapport est fait d’ailleurs avec Christophe Colomb, référence presque triviale. On notera que Colomb, s’il n’a pas eût à contrer une mutinerie dans son premier voyage n’en a pas peut-être pas été loin, le stress de l’équipage s’étant considérablement amplifié sur la fin. Sur l’Excelsior, David Dane, alcoolique et déprimé, devient le leader d’une révolte à bord qui s’arrête au moment où l’on arrive enfin, et heureusement, à destination.

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« A genou, et prions le petit jésus d’être arrivé à temps »…
David Dane, récalcitrant leader mutin :
« – hmmf, je voudrais bien, mais y’a pas la place »

Mars  :

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Masque (à gaz) ET grenades…

La première chose est la connaissance du terrain : avant de partir, on a une observation astronomique et donc une REPRESENTATION graphique, un plan quasiment, mais des plus grossiers…
Puis, à l’arrivée, avec la sortie sur la planète étrangère, une première difficulté : l’ATMOSPHERE ALIEN. Nos héros portaient tout le long de fort seyants, bien qu’un peu martiaux, uniformes de cuir. Les voici affublés d’un masque de matière similaire sur lequel s’adapte un tuyau et ce qui semble plutôt être un filtre à air, très cheap, leur donnant une esthétique un peu toc, certes, mais qui ferait rougir de plaisir un amateur de steampunk contemporain. La différence avec les combinaisons comme nous les envisageons aujourd’hui est étonnante : et quoi, les combinaisons de l’extrême terrestres n’ont pas servis d’exemple ? : le scaphandre pour commencer ? Et puis, un doute : peut-être que si… Peut-être que cette simple cagoule, justifiée par rien d’autre qu’une composition nocive d’un air modifié, serait comme un masque à gaz de la Guerre de tranchée qui est en train de se dérouler et qui utilise pour la première fois l’attaque massive au gaz – gaz moutarde depuis quelques mois. J’imagine difficilement les spectateurs de l’époque ne pas faire de rapport, ce qui donne un accoutrement bien dark… MAIIIIS, très vite, vient le fameux cri de joie d’un membre d’équipage : ON PEUT RESPIRER ICI !! Incontournable de l’exploration spatiale cinématographique, oh : littéraire aussi quand il s’agit de space op’, mais avouons que cinématographiquement parlant, il est encore plus pénible d’envisager des acteurs cagoulés… Himmelskibet s’encombre de la question de l’atmosphère, premier film du genre je suppose, et premier, donc, à passer outre l’encombrement.
Problème de l’atmosphère réglée que découvrons-nous sur Mars ? Pas grand chose. A la différence d’Algol, la planète est semblable à la Terre en tout point – je ne parle pas d’artefact, je parle du terrain. Mais Algol n’était que quelques plans, et là, un bon 3/4 d’heure s’y passe, sur Mars, Mars la pastorale pourrait-on dire, car ce qu’on en voit correspond à la société qui s’y déploie : champêtre, calme, terrestrement « nature »… En fait, Mars est une Terre comme on (mais pas moi) pourrait la rêver : débarrassée des villes, des usines, de tout ce qu’a apporté l’homme.

Les Martiens : des Extra-terrestres ?

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Le Leader Martien : un costume papal, oui, mais avec une coiffe de Carhaix portée à la Bigoudene… !! On note la présence d’un globe, preuve qu’on nous observait depuis longtemps…

Car la première chose qui frappe quand on remarque les Martiens c’est leur étonnante ressemblance avec des êtres humains ( et pour cause). Leurs vêtements semblent également tout droit sortis d’une peinture antique : garçons en tuniques entourées de leurs muses drapées de blanc et de guirlandes de fleurs.. Enfin, ceci pour « le peuple », car il y a une hiérarchie. Grosso modo, la société martienne est une religion qui a réussi : quelques leaders ressemblant à des papes et le peuple en uniforme pacifiste. Rien d’autre n’apparaît comme structure dans cette société. Alors bien sûr, la société extra-terrestre faite d’humains en tunique romaine et à structure basée sur une religion, c’est dans le ton de ce qu’on pourrait nommer du proto-space-op – même si c’est la première fois au cinéma – à voir. On pourra en tout cas citer en littérature Across the Zodiac : The Story of a Wrecked Record de Greg qui, dès 1880, d’après Van Herp, décrit des Martiens habillés à la mode grecque…
Mais n’oublions pas aussi que, tout mystico-pacifico-antiques qu’ils soient, nos Martiens sont en fait une société avancée sur nous, et ont donc une technologie avancée de même (n’est pas amish qui veut ). Voyons ça :

D’abord, à l’approche de Mars, l’Excelsior est comme happé, à une vitesse inconnue pour lui jusqu’alors : bon sang, les Martiens dispose d’un RAYON TRACTEUR !!! Comme dans Star Wars !!!

La question n’a pas le temps de se poser du LANGAGE EXTRATERRESTRE que, comme souvent dans le space op ou assimilé, le problème est résolu par un langage universel, par évolution, par traducteur universel, ou autre. Ici, le langage universel « parle directement à l’âme ». Notons que les Martiens font des mouvements avec la bouche (rappel : film muet), il ne s’agit donc pas de télépathie, sauf une télépathie complémentaire au langage parlé. Gageons que non, c’est bien un langage parlé immédiatement compréhensible, forme qui ne serait possible au cinéma que dans un muet, puisque le spectateur n’étant pas sourd…

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Les deux télescopes

Les Martiens, peuple de l’espace, se devaient d’avoir développé une technologie de pointe en ASTRONOMIE – pour nous observer, déjà, puisque nous sommes l’attraction principale de l’univers bien sûr. Là, un truc tout bête et fonctionnel nous permet de nous apercevoir qu’il s’agit d’une technologie bien alien – en nous donnant la main sur elle quasiment : le départ de l’Excelsior est vu, une larme à l’oeil, dans un téléscope à lentille circulaire et terrienne. L’approche de Mars est vue dans un télescope Martien à lentille hexagonale, impression alien qui nécessitait la première scène pour fonctionner totalement. Une belle solution pour donner l’impression extra-terrestre avec une économie de moyen maximum. Bravo.

Sur demande, les Martiens ont été également capable d’envoyer un MESSAGE A LA TERRE en illuminant des points précis sur la surface du globe Martien, et visible de la Terre avec un télescope. Je dis précis puisque les points dessinent la constellation de Corona, nom de la fille du Pr Planetaros… [Constellation Corona ou dite de la couronne boréale]. Ce procédé pourra paraître ridicule, mais il rentre dans les idées de l’époque : c’est la « Méthode Gauss », dirions-nous aimablement, qui consiste à inscrire (avec des arbres) des formes géométriques visibles d’autres planètes, idée qui sera reprise avec différents procédés, ici lumineux. Une technologie qu’on ne nous détaillera pas mais qui en rappelle une autre :

Le Capitaine Avanti ferait bien de faire attention en comptant fleurette au milieu de ce champ de FLEURS LUMINEUSES. Seul moment où la planète paraît vraiment extra-terrestre, je place cette référence ici, car si le film n’en dit rien, le roman Himmelskibet dont l’auteur a écrit le screenplay du film – un peu comme Clarke avec 2001, développe plus longuement la question de la technologie martienne : les fleurs semblent bien être une invention et non un élément naturel. En tout cas, quel fabuleux plan que ces fleurs lumineuses !

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Franchement, faîtes voler les fleurs en 3D là-dessus et hop ! Avatar !

 Himmelskibet, un space-op’ peut-être, une utopie sûrement

C’est le fond de l’histoire : la guerre fait rage et le film veut offrir un message pacifiste à l’humanité. Ceci en quelques points :

Les Martiens, une société végétalienne (voire frugivore) vs l’homme, maudit carnivore : comparant leur nourriture, les Martiens ne comprennent pas comment l’on peut avoir des boites de viande morte. Moment tragique, Avanti explique le plus simplement du monde : par l’exemple, en tuant un oiseau qui passe… Horreur pour les Martiens ! Eux sont non seulement végétariens, mais protecteur de toute vie. Comble de l’agressivité humaine, devant la réaction de la foule martienne, un terrien lance une grenade, par peur d’être submergé, et blesse un Martien. Terrifiante humanité, mangeuse de « viande morte »…

Une société pacifiste de type religieux. Heureusement, l’avènement d’une telle société n’est pas le fruit d’un développement naturel. Pendant une guerre antique et particulièrement meurtrière, un homme s’est dressé tel nos prophètes et a répandu une doctrine pacifiste qui a apparemment été assez bien structurée pour conquérir les cultures, dirions-nous. Les « leaders » sont les gardiens de la doctrine comme chefs de la société, doctrine qui nous sera apportée à nous pauvres terriens, à la fin de l’histoire.

Une Justice proche de la psychanalyse. En effet, la justice ne punit pas. Chacun doit, en présence d’un… tuteur en quelque sorte, revenir sur son méfait et annuler dans son esprit la cause de ce mauvais fonctionnement. La justice, on se la donne soi-même et parallèle est fait grâce à Avanti qui songe à la façon barbare dont nous, les humains, rendons la justice, en premier lieu par l’avilissement de l’emprisonnement.
Tout ceci est bel et bien bon, mais quand Madsen décide d’opposer la bonne société martienne dansant gracieusement avec des images de festivités terriennes – vin, grivoiserie, jeu d’argent, cigarettes.. – le procédé devient franchement un peu trop lourd et moralisateur.

Une fin douce et acceptée (et moyen SF) : A la fin de sa vie, on voit partir le Leader sur l’Île des morts dans une barque. Mais à l’inverse d’un tableau de Bocklin, on ne voit pas l’ïle, par contre on voit les morts qui, translucides comme Obiwan Kenobi, viennent à la rencontre du bientôt défunt. Ah, pas très SF ça, mais bon…^^

Conclusion

Je crois que je vais arrêter là ce déjà trop long texte. J’aurais pu parler de l’architecture, très limitée il est vrai. Du retour sur Terre, du fil directeur parallèle. Du jeu d’acteurs, un peu agaçant des fois, un peu excessif pour Avanti dans sa phase sur-excité, comme de sa compagne Martienne, avec sa gestuelle indolente frisant l’apathie – ceci même en tenant compte qu’on est dans un film muet. On aurait pu parler du méchant, le Pr Dubius, très drôle quand même dans le genre enflure : le jour du départ, il va rejoindre Avanti, lui tend une lettre et, juste pour se foutre de sa gueule, il lui dit : « Vous pouvez donner cette lettre de ma part sur Vénus ». Moins drôle quand il mine petit à petit le moral du père d’Avanti en allant le voir pour lui donner de mauvaises nouvelles. Il finira au fond d’un abyme, après avoir été foudroyé par un éclair. Bien fait pour lui ? Mais enfin, Madsen, tu as oublié ton message de justice soft? C’est pas très martien comme attitude, ça…

Il n’empêche disons-le directement : je ne dis pas qu’Himmelskibet ne pêche pas par un certain nombre de points – et surtout pour le spectateur contemporain comme moi inapte à percevoir l’oeuvre dans son contexte – notamment par naïveté du sujet. Mais c’est un film qui développe un nombre impressionnant d’idées SF d’une façon encore inégalée avant lui, au cinéma en tout cas. Rappelons en vrac : un voyage interplanétaire, une attention aux réalités scientifiques – même limitées – une société utopique, un film à message, un film vegan ! – quelle modernité !…
Himmelskibet est, sans aucun doute, un des jalons remarquables du cinéma de science-fiction. Compte tenu de la date, on a l’a une oeuvre véritable à voir.

Le DVD Himmelskibet+Verdens Undergang : deux films de SF Danois à voir

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